création au théâtre de Châtillon
Groupe Merci | Charles Robinson
du 10 au 12 mars 2022
réservation sur le site du théâtre
Dans une hypothèse enchantée, nous quitterions, de temps en temps, nos existences, pour nous projeter dans d’autres : des univers étranges, joueurs, repeuplés de nouvelles figures : des univers numériques.
Nos vies auraient ainsi accès, à volonté, à des extensions troubles.
Revenus à nos bons vieux réels, les pieds sur le bitume, dans nos cuisines, nous garderions dans les cœurs une sorte de petite clandestinité pour ces vies virtuelles qui auraient été les nôtres.
Hé bien, ce n’est pas du tout comme ça que ça s’est passé.
Ces vies virtuelles sont descendues en nous. Absolument. Elles ont infusé dans nos appartements, nos cuisines, converti nos existences, déboussolé nos terres.
À présent, nous sommes réellement altérés. Des virtuels nous bipent, nous sermonnent, nous conseillent, nous rappellent à l’ordre, nous enjoignent, nous scrutent, nous évaluent, nous boostent.
Nous sommes débordés par tout ce qui piapiate, tout ce qui annonce, tout ce qui commente, tout ce qui décompte. Nos pas dans la rue, nos pulsations cardiaques, nos agios, nos liens, nos consommations, les jours qui nous restent.
Si l’on en croit la sarabande infinie des chiffres, c’est nous qui avons été numérisés : computés.
Nos secrets, nos pensées, nos séductions, nos péchés se détachent en longues bandes de chiffres, de codes, cryptés : ce qui veut dire que, nous, nous ne savons même plus les lire.
Nous sommes tétanisés. Ce monde qui bruite est un désert. Dans le boucan, notre solitude paraît de plus en plus étendue, et la traversée improbable, pour trouver, de l’autre bord, d’un autre côté, un bras réel à accrocher.
Qu’est-ce qui reste réel ?
Nous sommes assistés.
Nous sommes augmentés.
Nous sommes harnachés de capteurs, de casques, de lunettes, de tirettes, de trucs et de bidules. Et nous n’avons peut-être jamais été aussi handicapés. Nous sentons de moins en moins le vol, de mieux en mieux la chute.
Nos assistants sont domestiques, psychologiques, miniatures, dans la poche, sur la table, à côté du lit, sur l’oreiller.
Face à leur inquiétante présence, tellement concrète, nous sommes réduits aux crises de nerfs (pourquoi ça marche pas !), à la dépression (oh j’en peux plus !), ou à la négociation (s’il te plaît !). Alors nous vociférons :
J’accepte !
J’accepte !
J’accepte !
Pour écarter la nouvelle sollicitation, la nouvelle fenêtre, la recommandation, l’emprise.
J’accepte d’être chevauché par un nouveau démon.
J’accepte de ne pas recevoir davantage de grâce.
J’accepte l’obscurité du monde.
J’accepte d’avoir peur davantage et j’accepte la médication.
J’accepte d’être hanté.
J’accepte d’être vidé.
J’accepte la fin du monde prochaine et je coche la case : pas ma génération.
J’accepte le stage déconnexion : deux jours tout compris.
J’accepte les obsèques de mamie dans le cloud.
J’accepte et j’en crève.
J'accepte from Groupe Merci on Vimeo.
Texte : Charles Robinson
Mise en scène et conception : Joël Fesel assisté de Louise Tardif
Direction d’acteurs : Georges Campagnac
Création lumière et régie générale : Raphaël Sevet
Création vidéo : Xano Martinez
Création musicale : Boris Billier
Construction : Hadrien Albouy et Stéphane Chipeaux-Dardé
Avec : Catherine Beilin, Georges Campagnac, Marc Ravayrol, Louise Tardif
Production et diffusion : Céline Maufra
Remerciements : Marie-Laure Hée et le Laboratoire « In cookies project »