Le style d’Emmanuelle Pireyre est un style de prestidigitateur. Sa phrase tend un chapeau, un haut de forme en feutre. Mais d’un tour de passe-passe apparaît subitement un lapin dans la phrase, le genre lapin blanc aux grands yeux, et comme Emmanuelle Pireyre est une auteure moderne le lapin aura sans doute aux fesses l’étiquette d’une coopérative bio. Si ce n’est pas un lapin ce sera le pingouin Linux, ou un enseignant finlandais taciturne et hacker international. Puis, tour de passe-passe encore, le lapin est remplacé par une petite fille qui n’aime pas la finance mais adore dessiner les chevaux.
Tout le livre fonctionne ainsi, par un jeu d’enchantements modestes et légers, par un bonneteau d’idées qui dresse dans l’espace de la lecture une succession de thèmes, de figures, de contrepieds cocasses. Emmanuelle Pireyre a un art très sûr pour créer un pli dans une phrase et accoler abruptement un contrepoint cinglant à un développement faussement anodin. La lecture évoque une promenade dans ces jardins piégés où peut surgir à tout instant une grimace, une fontaine, un diablotin à tutu.
Construit en 7 contes en forme de question (Comment laisser flotter les fillettes ? Le tourisme représente-t-il un danger pour nos filles faciles ?), le livre feint d’interroger le monde pour lui tendre un miroir-poudrier à malices.
Féerie générale est un beau titre qui décrit bien les enjeux du livre : le monde contemporain est mis en féerie. Nullement transformé, pas réinventé, mais enchanté. Il est rose, avec des rubans, des nœuds, des rayures. Le monde contemporain est drôle, avec ses traders, ses hidjabs, ses Pokemon, son département de philosophie de l’université de Stockholm, ses forums Internet. Girl next door philosophique avec baguette magique, Emmanuelle Pireyre réussit l’enchantement du monde trivial : c’est Poudre d’Or dans ta Twingo.
Il y a chez Emmanuelle Pireyre une distance désinvolte aux choses et aux péripéties proche de certaines héroïnes de Rivette. Un rapport au monde désarmant.
Effet imprévu : rapporté par Emmanuelle Pireyre, le monde contemporain devient vivable.
Dans La mélancolie de l’anatomie, Shelley Jackson donne une idée de ce genre de monde.
L’univers, nous le savons maintenant, est loin d’être ce modèle froid et mécanique inexplicablement adoré par les physiciens du passé. Le monde qui a donné naissance aux plumes, aux cloportes, aux cookies et aux baleines est ridicule, criard, douillet. Par-dessus tout, il est gentil.