Le Noir est une couleur (live)

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Le soir, la Leopoldstrasse s’allume comme une cathédrale. Sur les gazons brûlent des bougies, éclairant des peintures et des dessins posés à même le sol, ou appuyés contre les arbres. Partout des roses flamboient, rouge sang, orangées, jaune-thé, blanches à la chair transparente. Les gosses montent la garde pendant que j’en cueille en cachette, pour mettre la nuit dans mes cheveux. Ces roses, ce sont mes plus beaux bijoux, elles m’accompagnent dans mes promenades nocturnes. Elles tiennent jusqu’à l’aube et le jour j’en vole d’autres. Elles me consolent et me protègent.


Publié pour la première fois en 1974, Le Noir est une couleur, texte de Grisélidis Réal, expose une liberté crue gagnée par les flamboyances.

La vidéo présente un extrait de la lecture live de 30 minutes créée lors du programme "Pour des lectures sauvages", résidence de Charles Robinson aux Lilas dans le cadre du dispositif départemental "Écrivains en Seine-Saint-Denis".

texte : Grisélidis Réal
voix : Violette Pouzet-Roussel
son, image : Charles Robinson


Grisélidis Réal rapporte sur un ton lyrique sa fuite des terres ordonnées vers l’Allemagne, accompagnée d’un étudiant en médecine noir et schizophrène et de ses deux enfants.
Sur place, très vite, la misère gagne. Malgré le sexe, les relations s’enveniment. Grisélidis Réal passe une grande partie de ses soirées à danser dans des bars et finit par faire des passes pour nourrir tout le monde et payer le loyer.
Sa vie devient sordide. Il n’y a aucune complaisance à la misère dans l’écriture de Grisélidis Réal, pas plus d’apitoiement que de fantasme sur la pauvreté heureuse. Ce que Réal décrit, c’est la joie des êtres libres : prostituées, noirs, tziganes. L’appétit de vie violent de ceux qui veulent jouir de leur être et de leur espace, de leurs mouvements, ce court temps de leur passage sur terre. Réal condamne moins la misère qu’elle ne condamne la pauvreté de cœur et la peur des bourgeois, leur façon de profiter des faibles, leur sécheresse, leur police, leur violence morale.
Réal demande une chose très simple : qu’on lui foute la paix et qu’on la laisse vivre comme elle l’entend, elle et ses enfants. Elle accepte de payer le prix de sa liberté : c’est-à-dire le prix de ses choix, et non le prix de la condamnation que la société porte sur ces choix.
Cette position sera celle qu’elle défendra par la suite dans son combat en faveur des prostituées, rappelé dans un court texte ultérieur qui clôt le livre, et qui pose avec beaucoup de force la dignité des femmes putains.

Ce qui frappe, chez Réal, c’est la façon de plonger profondément le bras dans la merde : son emportement, sa langue batailleuse et querelleuse, son empoigne, sa mauvaise haleine soufflée à la gueule de la bonne société.
Réal vit dans la rage et le tapage, dans le claquement de hauts talons sur les trottoirs et les pantalons de lamé rose. Réal sent la cocotte, éclate de fard et de khôl, piaille d’une voix de pétroleuse. Il y a beaucoup de partis pris chez Réal, des jugements à l’emporte-pièce et de l’aveuglement, mais ce débordement de la joie d’être dans l’écriture impose le texte : il n’est pas fait de jugements et d’opinions, il est le miroir d’une vie, il est la trace que laisse un être vivant dans le monde.

Le texte n’est pas très vieux, il semble pourtant écrit dans une langue étrangère dans son rapport assumé à l’idée d’une race noire et à la spécificité (valorisée) des noirs sur les autres humains. Il est en cela un bon reflet d’une culture pas si lointaine.

Sur la prostitution, Réal rappelle qu’elle joue un rôle précieux, en donnant du plaisir à ceux qui n’en ont pas, qui ont obtenu la notabilité, la famille, la carrière au prix d’une privation du désir, du fantasme, du plaisir. Les putes aident à vivre, énonce Réal, il y a beaucoup d’hypocrisie à les condamner.
Réal ne masque pas la dureté de la prostitution, la saleté, la peur, les coups, les maladies, l’abattage. Aucune idéalisation. Réal ne dissimule pas le sordide.
Mais Réal assume son choix : une forme de vie. Elle dit aussi le plaisir qu’elle a avec certains de ses clients et que l’ivresse continue de ses nuits et les orgasmes qu’elle y gagne lui semblent préférables à une vie lissée et policée. 

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.