Delta Charlie Delta -- Michel Simonot

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2005. Clichy-sous-Bois. Une course-poursuite devenue tristement exemplaire. Zyed et Bouna : décédés. Muhittin : gravement brûlé. Des quartiers s’embrasent tour à tour. Des appels au calme. Des condamnations. Et le retour de l’état d’urgence, une première en métropole depuis 1962.
Oratorio profane, Delta Charlie Delta est une opération de mise au net des faits, des situations et des discours. Face au bruit du monde, face au brouillage, à la pollution des avis et opinions (confère ce moment choral dédié aux multiples prises de partie sur Internet), le texte énonce les lignes claires. Ce n’est pas la rage qui ressort, mais la sereine évidence. Si les tempêtes médiatiques engloutissent, le texte peut ramener là, rendre les présences, y compris celle du troisième garçon, que sa non-mort a paradoxalement fait disparaître.
Le texte rend aux faits leur vérité d’événement, à la confluence du moment historique (la politique sécuritaire du gouvernement, ses déclarations ; la politique des banlieues), des actions individuelles tragiques (le trou noir où les garçons sont happés se construit à plusieurs), des miroirs et des significations, forgeant ainsi la possibilité d’excéder l’instant pour entrer dans les mythologies : le lieu des vérités exemplaires.

La littérature, ici, n’engage pas la critique, les hypothèses, la justesse ; elle se fait concise à dire le vrai, à faire œuvre de vérité. Elle propose l’événement du texte face au marécage des opinions, des déclarations contradictoires, des postures. Elle ne le fait d’ailleurs pas avec les moyens de l’enquête ou du rapport, mais en lestant chaque acteur, chaque action, chaque moment, de sa pesée d’humain, de ses lignes d’actions & conséquences, donc en construisant quelque chose de singulier, qu’il faudrait peut-être nommer une « vérité éthique ».

De facto, le texte accuse cette particularité contemporaine, pas toujours perçue : la vaste fosse dans le débat public que laisse l’absence du vrai, et le fait que nous nous en soyons collectivement accommodés. Toute vérité est relative, ricane l’esprit fort, chez qui le sens critique a dégénéré en réflexe pavlovien du doute ; nous nous sommes peut-être amputés de ce goût et de cette faculté-là.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.