No Country for old men -- Cormac McCarthy

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Pendant tout le temps que tu passes à essayer de reprendre ce qu'on t'a pris y a encore un peu plus de choses qui te filent entre les doigts. Au bout d'un moment tout ce que tu peux faire c'est essayer de mettre un garrot dessus.
C'est bien de plusieurs hommes vieillis dont il est question ici, des hommes qui ont toujours fréquenté la violence et qui savent qu'en Amérique le sel de la terre est du sang. Pourtant, il y a un point où ils ne comprennent plus — ni les cheveux verts et les os dans le nez, ni qu'un tueur abatte la jeune épouse du fautif quand il n'y a plus d'intérêt objectif, ni que les trafiquants de drogue emploient un avion pour une livraison et abandonnent l'avion en plein désert, ni que les mêmes trafiquants de drogue aient raflé les bocaux en verre dans la région pour les fourrer de grenades dégoupillées et lâcher le tout sur les maisons en guise de bombardement aérien. Trop d'argent, pas assez de valeurs : quelque chose s'est déséquilibré. Déréglé. Ce n'est plus une question de violence, de délinquance ou de criminalité. La question touche directement à l'existence humaine dans ses fondamentaux, à une certaine forme humaine, conventionnelle. Soulever ce genre de question et vouloir y répondre de cette façon est sûrement un peu réactionnaire. Mais on est au Texas. Où dans le désert, les shérifs finissent les trajets sur le cheval de leur femme. Et où tout cet argent en circulation, on ne saurait pas comment le dépenser.
À ce point de l'histoire, en tout cas, apparaissent les Anton Chigurh, tueur fantôme, avec le pistolet d'abattoir qui ne laisse pas de projectile dans les cadavres, et que le shérif Bell appelle Mammon, le prince qui préside aux divers péchés que fait commettre l'amour de l'argent. Chigurh n'est ni un démon, ni une expression du mal, il est juste débridé : un humain sans les freins et les blocages internes, insensible au chagrin, à la pitié, insensible aussi à sa propre douleur physique ou au risque de sa mort. Un humain muté, adapté à l'Amérique contemporaine, où une auto-stoppeuse de 16 ans démarre au quart de tour quand l'homme qui l'embarque dans son véhicule lui montre son flingue sous le siège, parle de braquer une station-service, ou révèle que sa mallette est ras la gueule de pognon douteux ; elle tique seulement quand arrivés au motel ce jour-là il refuse de coucher avec elle : est-ce qu'il serait pédé ? L'Amérique contemporaine, où des gamins du modèle le plus standard qui soit s'enflamment pour un pistolet dans une voiture accidentée et couvrent un tueur pour un billet de 100 $. L'Amérique contemporaine, où les hommes vieillis font bien de se coucher, la partie qui se joue n'est plus pour eux. L'histoire qui se raconte ne fait pas sens dans leur langue, dans leur imaginaire de vieux cowboys, de code de l'honneur et de cas de conscience. Les shérifs démissionnent. Pourrissent dans leur fauteuil. Les Chigurh ont sérieusement les choses en main. L'Amérique contemporaine.
Il a dit que j'étais dur avec moi. Que c'était un signe de vieillesse. de vouloir réparer. Je crois qu'il y a du vrai là-dedans. Mais ce n'est pas toute la vérité. J'étais d'accord avec lui quand il a dit qu'il n'y a pas grand chose de bon à dire au sujet de la vieillesse et ensuite il a dit qu'il en connaissait une et j'ai dit laquelle. Et il a dit ça ne dure pas longtemps.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.