Inland - Tariq Teguia

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Inland - Gabbla - Dans les terres. Sur un script comme celui-là, il y a un film déjà vu mille fois : le civilisé tombé dans le désert pour connaître la déchéance.
Il erre. Vide intérieur. Vide extérieur. Souffrances. Selon l'optimisme du cinéaste, il atteint un point de rédemption, rebondit, ou il est avalé, définitivement, englouti.


On fantasme des espaces vierges, alors que les déserts sont très pollués : c'est plein de sacs plastiques portés par le vent pendant des centaines de kilomètres, et que rien n'a arrêté, et c'est plein d'Occidentaux qui vont marcher pour se perdre.
Dans les déserts d'Inland, il y a des sacs plastiques bleus, blancs, en masse, et pas d'Occidentaux. Les gens qui vont marcher dans les déserts viennent pour les traverser. Le désert, c'est un peu comme la campagne en moins mouillé, on y convoie les moutons, on l'exploite, on y mange. Bien sûr il y a de beaux endroits, des lieux où l'on fait une halte (comme dans les campagnes). Mais, globalement, les déserts ne sont pas des lieux hors du monde, ils sont le territoire qui suit la campagne quand on vit dans ces régions. Un déjà-plus-campagne (si l'on se soucie des évolutions climatiques).
Dans l'Algérie d'Inland, il n'y a pas tellement de solutions. Soit l'on s'arrête, et si l'on est à l'intérieur on discute politique sans qu'il en sorte rien, et si l'on est à l'extérieur on s'appuie à un mur lépreux dans des rues dévastées, seul ou accompagné, mais de toute façon mutique. Soit l'on marche. Le géomètre déprimé et héros d'Inland, qui a le profil-type pour un parcours de déchéance (divorcé, père d'une fillette qu'il n'ose pas aller voir par manque d'argent, environnement pas gai), ne suit pas la spirale de la déchéance. Il suit un parcours horizontal, où tout est toujours à peu près de même niveau, sans chute et sans évolution, où l'on marche longtemps dans un sens, et puis l'on fait demi-tour, et où il y a des pointes d'intensité : parce que l'on se fâche avec un policier, parce qu'il y a des explosions dans la nuit, parce que l'on rencontre quelqu'un, parce que l'on est pris de boisson en écoutant un des blues du désert.
Dans un de ces blues, le chanteur dit : si dieu a créé l'enfer, il n'y a personne au Paradis. Et c'est peut-être bien l'idée qui traverse le film, avec cette immigrée clandestine qui ayant vu mourir ses compagnons de voyage décide de faire machine arrière et de retourner dans sa région d'origine : s'il n'y a qu'un enfer, autant y vivre parmi des proches. Du coup, le géomètre est à plaindre, lui qui ne vit plus que parmi des lointains. C'est pour ça qu'il marche : pas de proches auprès de qui s'arrêter. Comme il le dit à ce qui ressemble le moins à un non-ami : pendant la marche, "il était à moitié là", l'autre moitié devait être une absence auprès d'une ex-épouse, d'une fillette, et des amis disparus pendant la guerre civile.
Pas la joie Inland. Mais très beau.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.