Demander une augmentation - Georges Perec

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d'ailleurs pour simplifier encore davantage nous pouvons supposer que le snack n'a pas servi de poisson bien que l'on soit un vendredi ceci laisse supposer qu'il a servi des oeufs et en ce cas de deux choses l'une ou bien ces oeufs étaient pourris ou bien ces oeufs n'étaient pas pourris
Le texte répond à une proposition de Jacques Perriaud – chargé de recherche à la Maison des sciences de l'homme – qui soumet à Perec un organigramme marquant le processus actions / décisions dans une demande d'augmentation.
À charge pour Perec, en adaptant le matériau de départ, de produire un texte littéraire.

La solution élaborée est extrêmement séduisante.

Qu'est-ce qu'un organigramme ?
Des étapes (exposer votre demande, attendre le lendemain...), matérialisées par les cartouches. Des questions ou décisions à prendre (est-elle de bonne humeur, a-t-il des boutons rouge sur la figure...). Enfin, des actions, conduisant, sous forme de flèches, d'un cartouche, d'une question, au point suivant dans une chaîne.
Pour les étapes, Perec fige dans son texte un certain nombre de formules, qui en quelques mots représenteront des lieux (dont l'ensemble constitue tout ou partie de l'organisation qui vous emploie...), des services, des interlocuteurs, des situations. Le texte repassant incessamment par chacune de ces formules y varie de quelques mots, dans un jeu de répétitions et de déformations, d'épuisement, de variantes hystériques, désabusées ou menaçantes.
Pour les flèches, Perec invente une phrase à la grammaire alternative, ouvrant sous chaque énoncé une double possibilité, et poursuivant mécaniquement chacune des hypothèses de toute proposition. Perec a l'idée décisive d'une phrase unique, sans ponctuation ; ainsi, le texte est un immense flux, exactement comme un organigramme est un espace ouvert où tout communique, circule, coule : une machine, avec ses cliquets, ses soupapes : un mouvement perpétuel.

Perec entretient un rapport ludique à la contrainte. Il la respecte, mais elle doit produire de la littérature.
Ici, Perec investit son descriptif d'un petit nombre d'éléments dynamiteurs. Qu'il s'agisse d'une arête de poisson, d'œufs pourris, de mademoiselle Yolande ou de la rougeole, ils forment une sarabande burlesque et grimaçante autour de la demande. Ce sont ses mauvais démons.
La soumission d'une part, le respect procédurier de l'organisation, nécessaire à l'application de l'organigramme, conduisent le texte à cette forme d'implosion du système, mais aussi de sacrifice de l'employé, qui font de L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation un pendant – aussi puissant et subversif – du Bartleby, une histoire de Wall Street, d'Herman Melville. Avec un ou bien ou bien en guise de I would prefer not to.

-- L'art et la manière d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation / Georges Perec. Hachette littératures (2008)

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.