Entretien : Sismographie du vivant

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Le Matricule des Anges de janvier 2016 (n° 169) consacre un épais dossier à Fabrication de la guerre civile, avec notamment un long entretien.

extrait :

Écrire à partir de la langue des banlieues, n’est-ce pas risqué ? Ne peut-on pas facilement tomber dans le cliché, voire l’exotique ? Comment avez-vous évité les écueils d’une langue qui pour faire réaliste aurait été factice ?
Il n’y a qu’une langue et elle a des usages, multiples, poreux. Voir le réemploi par la publicité des inventions nées dans les quartiers. Il y a forcément un risque de cliché quand on cherche à reproduire une forme réelle en art : le problème est le même pour un personnage ou une façon de s’exprimer. En voulant la rendre reconnaissable, on peut être tenté d’en donner une forme conventionnelle. Ce qui me protégeait, de ce côté-là, est que je voulais proposer une expérience virginale des Cités : je voulais qu’on lise une langue neuve. Pour ça, je ne suis pas parti d’un parler-Cité, mais d’une langue littéraire, et j’y ai incorporé de l’oralité. Technique savante dite de la Mousse au chocolat. Je n’ai pas cherché à recopier la langue orale. Je me suis efforcé de l’entendre attentivement, d’entendre ses vitesses, ses associations sauvages, le micmac de ses sources, et d’extraire des mécanismes. Ce sont des rouages que j’ai injectés dans une langue littéraire. J’ai essayé de la faire fonctionner avec la même souplesse rusée, la même capacité d’emprise, que ce que j’entendais parler dans la rue. Se souvenir aussi que dans les Cités, la langue est un champ de bataille : il faut être affûté, en forme, parce que là, des joutes, de l’identité, des échappées lyriques vont avoir lieu. C’est un déploiement d’énergie et de trésors où se jouent du théâtre et de la mythologie, du cinéma et des aventures identitaires, des amitiés, des haines communautaires et des séductions clandestines. C’est presque l’ouverture de Dans les Cités : « Les arts de la rue ont beaucoup en partage avec les arts primitifs. Les technologies manquent pour la domestication du monde. Déficit politique. Alors les primitifs ont inventé les arts de l’incision, de l’empreinte, de l’inscription et de la trace. Ils se sont exercés sur leur environnement aussi bien que sur leur corps. Ils ont inventé les tatouages, les scarifications, les cris, les danses. Ils ont inventé le style. Ils ne disposaient ni du pouvoir ni du patrimoine, ils ont trouvé autre chose : ils ont joué sur les perceptions. » Inventer un usage des Cités dans la littérature, c’est invoquer tout ça, avec le souci d’être juste sur la force et la puissance verbale. À aucun moment, il n’est question de réalisme ou de naturalisme.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.