Blast -- Philippe Malone

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Une forme de névrose, ça s’appelle une névrose suicidaire de fuite, une forme de névrose, qui d’ailleurs à la fin devrait être une psychose. C’est-à-dire que les psychiatres que nous avions consultés à l’époque m’ont tous dit qu’il aurait vraisemblablement fait des dépressions nerveuses dans sa vie, s’il avait eu une vie.

Le texte est écrit à partir d’un recueil de témoignages personnels sur des événements ravageurs ayant impactés une vie (le débarquement, le 11 septembre, la fermeture de Moulinex, etc.). Mais le texte évacue toutes les références à l’événement historique qui produit cet impact pour orchestrer des voix stratifiées énonçant les bourrelets cicatriciels, les marques et les traces : comment l’impact reste et vibre en bourdon dans la voix.
Le texte est économe, peu prolixe et, sur un sujet qui prête au spectaculaire, au détail violent et scabreux, donc aux effets de crêtes, le texte choisit au contraire un état vibratoire continu : la transposition de l’impact en infra-basse.
Écarter l’anecdote pour sculpter des infra-basses dans le document.
L’onde de choc, prise dans un effet freeze : le gel intérieur de la déflagration.

Pas de personnages, de points d’énonciation : les voix sont mélangées, ce qui amène une fragmentation compacte : les éclats sont agrégés, en un bloc bourdonnant, sourd, insistant, profond et puissant.
C’est une poussée textuelle qui s’instaure lorsque le texte commence : une mêlée de rugby (jeunes, vieillards, hommes, femmes, tous noués), un pack, où les voix poussent et projettent, de toute la force accumulée de l’événement, sans lever la tête, sans cri, avec quelque chose qui parle pour la rage de la vie blessée, pour la force de la vie survivante.

Pour le plateau, Blast opère une proposition où la catastrophe est une immense déferlante, hors de scène (elle est dans nos mémoires, puisque ces événements sont historiques), tandis que les voix sont des ombres projetées, des indices de présence, une inquiétude dansante.
Le plateau est une grotte, la catastrophe s’y reflète.

Charles Robinson

romancier

travaille dans quatre directions qui souvent s’interpénètrent : l’écriture, la création sonore, la littérature live, la création numérique.